La propriété privée est légitime, mais elle doit contribuer à la destination universelle des biens, qui est aussi de droit naturel. L’homme est en conséquence moralement tenu d’user de tout ce qu’il possède comme un bon intendant, en recherchant toujours le bien commun. L’analyse de Jean-Yves Naudet publiée sur le site aleteia.org

http://questions.aleteia.org/articles/62/comment-concilier-propriete-privee-et-destination-universelle-des-biens/canonical/

 

COMMENT CONCILIER PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS ?
La propriété privée est légitime, mais elle doit contribuer à la destination universelle des biens, qui est aussi de droit naturel. L’homme est en conséquence moralement tenu d’user de tout ce qu’il possède comme un bon intendant, en recherchant toujours le bien commun.
  • 1.Dès le XIIIème siècle, Saint Thomas d’Aquin a posé, dans la Somme théologique (IIa, IIae Q 66 a 2), les fondements de la doctrine de l’Église sur la propriété privée, reconnue comme légitime et indispensable, mais la destination universelle des biens est elle aussi affirmée comme « de droit naturel » et les autres droits, y compris celui de propriété privée, doivent lui être subordonnés: toute la question est donc de savoir si on peut concilier les deux et comment les concilier. Reprenant Aristote, pour justifier la propriété privée, il distingue la possession, qui est légitime, de l’usage qui doit en être fait pour le bien de tous.
  • 2.La légitimité de la propriété privée se fonde sur plusieurs arguments raisonnables : 1°/ on donne plus de soin à la gestion de ce qui nous appartient en propre, 2°/ la société est plus ordonnée quand chacun s’occupe de son bien et pas de celui du voisin, 3°/ la paix est mieux garantie quand chacun sait ce qui lui revient. L’Écriture sainte confirme elle aussi, indirectement, la légitimité de la propriété, comme par exemple dans le Décalogue qui prescrit : « Tu ne voleras pas » – « Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain »
  • 3.Léon XIII reprendra ces arguments, comme tous les papes après lui. Dès la première Encyclique traitant de la question sociale, Rerum Novarum (1891), il développe en préambule, dans une question préalable, une vision véritablement prophétique en face du marxisme naissant : « supprimer la propriété privée » pour résoudre la question sociale aurait « des conséquences funestes ». Cette suppression conduirait à de graves désordres. En réalité, l’homme n’a pas seulement le droit à l’usage des biens : il a un droit stable de les posséder, car la propriété donne une zone d’autonomie et de liberté à la famille, qui doit être protégée des abus et de l’arbitraire de l’État, et même du fisc.
  • 4.La propriété est donc légitime, mais la question de son usage est la question clé : l’homme est tenu par l’impérieuse nécessité morale de posséder ces biens comme s’ils étaient à tous, car les biens de la terre sont par principe fondamentalement et moralement destinés à tous les hommes. Nous sommes réellement propriétaires, mais comme intendants, par délégation de Dieu et en vue du bien commun, ce qui change tout. Laborem exercens insistera sur cette mission donnée dès la Genèse de « dominer la terre » dans le but de continuer et de prolonger l’œuvre du Créateur, au profit de tous les hommes.
  • 5.Comment rendre effectivement compatibles les deux principes ? La doctrine sociale de l’Église indique quatre actions nécessaires pour rendre effective cette compatibilité : 1°/ il faut promouvoir non pas la suppression, mais la diffusion large de la propriété privée, 2°/ il faut permettre une juste rémunération des travailleurs, ce qui donnera ainsi à tous un juste accès aux biens, 3°/ celui qui possède a l’impérieux devoir moral de partager avec les plus démunis, 4°/ le propriétaire a le devoir de faire fructifier sa propriété, car la propriété des moyens de production « devient illégitime quand elle n’est pas valorisée » (Jean Paul II). Le devoir moral est double : créer et partager. Mais jusqu’où aller quand la propriété est jugée moralement illégitime dans certains cas concrets, lorsqu’elle est laissé à l’abandon au lieu d’être valorisée (Latifundia, logements vacants, etc.) ?